Retour sur la musique d’illustration, si jusqu’ici nous avons parlé de son statut, des ses particularités, et de l’impact qu’a sur elle le numérique, un point n’a pas été abordé : sa légitimité artistique.
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Alors, peut-on donner une légitimité artistique à la musique d’illustration ?
Le terme « musique d’illustration » que nous utilisons depuis le début, est le terme qu’emploient les éditeurs-producteurs eux-mêmes. Par cela, ils souhaitent diffuser le caractère selon eux spécifique de cette discipline musicale, destinée non pas, ou indirectement seulement, au grand public, mais bien aux professionnels du secteur audiovisuel qui voient en elle non pas un produit fini, mais un moyen en vue d’une fin : c’est-à-dire que la musique d’illustration n’est pour eux qu’un plugin visant à compléter leur propres travaux.
Dans la pratique, et cela est très visible lors de discussions avec les professionnels, les termes employés ont une consonance négative : on entend ainsi parler de musique de stock, musique à la bande, musique au mètre…
Dans un premier temps, au vu des termes employés, et même si jusqu’à présent au cours de notre réflexion nous avons vu les similitudes avec le marché du disque, il apparait difficile de légitimer artistiquement la musique d’illustration. Cependant, grâce à ces termes, nous allons pouvoir mettre en avant d’autres caractéristiques de cette discipline, et avancer dans notre questionnement artistique.
Musique de stock ou au ruban sont comme nous le disions, des termes courant pour désigner la musique d’illustration, dont les éditeurs-producteurs essaient de se défaire.
Cette appellation fait référence notion de marchandisation de la musique, du fait qu’elle n’existe que pour la vente. On s’éloigne là encore d’une éventuelle légitimité artistique.
C’est une métaphore également, pour illustrer le fait que lors de la sélection, on puisse à tout moment couper la musique, pour la faire correspondre à la vidéo ou bien tout simplement pour des raisons de coût.
Cette pratique détruit complètement l’intégrité de l’œuvre, qui se voit dans l’obligation de s’adapter à l’extrême à la demande : il n’est pas rare de voir des demandes pour trois ou quatre secondes de musique. A tel point que les compositeurs travaillent désormais sur des morceaux durant quelques secondes seulement.
Il y a donc un réel lien de subordination de la part de la musique d’illustration envers les productions audiovisuelles. Elle est faite pour intégrer à cette œuvre, et elle n’aura aucune utilité sans celle-ci.
L’utilisateur, lui, sera facturé en fonction du nombre de secondes écoulées, avec cependant un forfait minimum de trente secondes décomptées à chaque utilisation.
Cet élément est très important pour comprendre le positionnement en tant qu’œuvre musicale pour la musique d’illustration : le fait qu’une œuvre puisse être fractionnée est très rare, si l’on pense à d’autres disciplines comme le cinéma, le théâtre, la danse…
S’il arrive que dans les disciplines que nous venons de citer ces œuvres soient fractionnées pour diverses raisons, dans la plupart des cas, elles sont diffusées entièrement.
Ce n’est pas le cas de la musique d’illustration pour qui le fractionnement des œuvres se fait de manière quasi constante, et montre, encore une fois, le statut de dépendance qu’elle a par rapport aux réalisations audiovisuelles qu’elle sonorise, et le fait que seule, elle n’a aucune raison d’exister.
La notion de musique de stock, quant à elle, fait appel à ce que l’on appelle le catalogue musical. Dans le marché du disque, un catalogue se définit par un ensemble d’individualités, tant du point de vue des artistes que du point de vue des genres. Il ne se constitue pas d’un tenant, mais bel et bien au fil du temps.
De plus, ce catalogue donne une idée générale de ce que fait la maison de disque en question.
Dans le cas de la musique d’illustration, le catalogue a une autre fonction. Il agit comme un argument de vente supplémentaire. On mesure souvent la taille d’une structure de musique d’illustration non pas au nombre de ses employés mais à la taille de son catalogue.
Pour simplifier, si parmi la musique dite commerciale on distingue plusieurs type d’artistes, qu’on les traite séparément, la musique d’illustration agit de manière globale, toutes les œuvres possèdent le même statut, et sont rattachées les unes aux autres.
Une autre différence majeure est le fait que dans la musique d’illustration, le plus souvent, le compositeur n’est pas mis en avant, c’est plutôt le genre de l’œuvre, le Soundalike dont nous avons parlé précédemment, ou même la durée.
Nous sommes donc face à une œuvre totalement dépersonnalisée, par laquelle l’artiste n’existe plus.
De fait, la promotion de ces œuvres est donc à la fois globale et impersonnelle. Cela nous éloigne encore à priori de d’une légitimité artistique pourtant revendiquée.
Une des raisons du manque de reconnaissance artistique des professionnels envers la musique d’illustration, vient également du contexte dans lequel les titres sont écoutés par certains d’entre eux. Il en va de même pour les personnes tentant d’avoir une écoute extérieure de ce genre musical.
En effet, durant notre réflexion, nous avons eu l’occasion de faire de nombreuses comparaisons entre la musique d’illustration et le marché du disque, et donc, la musique de commerce. Cependant, en ce qui concerne l’écoute de cette musique, faire une comparaison entre les deux disciplines serait une erreur.
La raison même d’exister de la musique d’illustration, la manière dont elle est pensée et créée par les compositeurs, tout cela est fait pour accompagner des images. Elle n’est donc pas destinée à une écoute seule, sans ornements, comme l’est la musique du commerce, et ce même si, comme dit précédemment, certains professionnels l’écoutent pour leur compte personnel.
Cette écoute seule, sans accompagnement visuel peut en effet se révéler plus que déroutante face aux attentes musicales et aux attentes de tout un chacun : encore une fois, là n’est pas sa fonction première, elle doit répondre un certain nombre de normes, et elle est de fait quelque peu formatée.
La musique d’illustration est presque toujours instrumentale, bien que les dernières tendances, surtout visibles dans les collections étrangères sont à l’ajout de paroles que l’on peut dissocier par la suite, et apparait sous deux principales formes.
La première d’entre elles est une fonction de fond sonore, d’arrière plan. Elle a pour destination l’accompagnement de voix-off ou de dialogues comme cela est souvent le cas dans les documentaires ou les films sous toutes leurs formes. On constate ici une fonction de soutien à la structure des productions, de comblement également.
La seconde forme pour sa part est particulière dans sa conception : il s’agit de titres ou la mélodie est largement mise en avant, afin d’interpeler l’orateur et de s’inscrire dans sa mémoire. On la retrouve surtout dans les publicités, où l’on peut noter que chaque personne est capable d’associer une musique à une marque ou un produit, et également dans les génériques d’émissions.
L’évocation de ces exemples est ainsi faite pour montrer dans quelle cadre se fait la création de ces œuvres, que l’on peut à juste titre considérer comme formatées car elles sont justement composées en tant qu’éléments additionnels qui ne permettent donc définitivement pas une totale liberté de création. Cependant, le fait que, en dehors de la création originale, la musique d’illustration soit crée avant le document qu’elle sonorisera fait qu’elle conserve tout de même une part de liberté : tant dans le choix des instruments, de la mélodie, du tempo et de l’univers en général. Il faut absolument prendre ses éléments en compte si l’on souhaite répondre à la problématique d’une légitimité artistique, et se défaire des habitudes d’écoute que l’on a pour la musique dite de commerce.
Il n’y a donc malheureusement pas de réponse ferme et définitive à donner, cela dépend de la vision et du traitement qui est fait de celle-ci, et majoritairement par ceux qui l’utilisent.